Des équipes de trois laboratoires toulousains ont mis au point une nouvelle génération de molécules anticancéreuses potentiellement thérapeutiques, inspirées de métabolites produits par les éponges marines. Cette famille de molécules, en cours de tests pré-cliniques, ouvre de nombreuses perspectives pour le traitement du cancer. Les résultats sont à retrouver dans le Journal of Medicinal Chemistry.
L’évaluation et la valorisation de la chimio-diversité marine mobilisent un nombre croissant d’équipes de recherche dans le monde. En effet, pour se défendre ou se développer, les organismes vivants produisent des métabolites, petites molécules organiques qui jouent un rôle essentiel pour leur survie dans un écosystème marin hautement compétitif. Ces molécules perfectionnées par des millions d’années d’évolution ont souvent une activité très spécifique vis-à-vis du milieu extérieur, attractive ou répulsive, voire toxique. Véritables médiateurs chimiques, elles sont devenues source d’inspiration pour la chimie thérapeutique.
Ainsi, la chimie des substances naturelles issues des éponges marines de type Petrosia a mis en évidence au cours des dernières décennies de nombreux lipides acétyléniques aux propriétés cytotoxiques et potentiellement anticancéreuses. Ces lipides sont des molécules constituées d’un long squelette carboné et d’un motif polaire chiral* de type alcynylcarbinol en position terminale (cf figure).
En vue de développer leur potentiel pharmacologique, des équipes de trois laboratoires toulousains** ont démarré il y a une dizaine d’années un vaste programme de recherche à l’interface entre chimie et biologie. Près de 150 analogues de synthèse de métabolites naturels ont été préparés, avec pour l’un d’entre eux une activité antiproliférative contre des cellules cancéreuses jusqu’à 1000 fois supérieure à celle d’un produit naturel de référence. Les éléments structuraux déterminants leur activité anticancéreuse ont pu être identifiés. Les équipes ont également découvert que leur cytotoxicité repose sur la bioactivation énantiospécifique*** de ces lipides par une enzyme. Le lipide activé modifie à son tour plusieurs protéines et il s’en suit une cascade d’événements qui conduisent à la mort sélective des cellules cancéreuses qui expriment l’enzyme activatrice.
Forts de ces résultats, les scientifiques ont imaginé et développé une nouvelle génération d’analogues synthétiques des lipides naturels en conjuguant le motif polaire chiral avec différents noyaux (hétéro)aromatiques portant la chaîne lipidique. L’introduction d’un motif aromatique offre de nouvelles possibilités de variation de la structure des molécules et, donc, de leurs propriétés biologiques. Cette série s’est avérée à la fois plus stable et plus sélective vis-à-vis de l’enzyme de bioactivation que les premiers composés non-aromatiques étudiés. Leur toxicité et stabilité ont été explorées chez la souris et ouvrent de réelles perspectives de développements thérapeutiques pour cette famille de lipides. Ces travaux, parus dans le Journal of Medicinal Chemistry, illustrent comment des études associant chimistes et biologistes peuvent aboutir à la conception d’une classe inédite de molécules anticancéreuses.
Phenyl dialkynylcarbinols, a Bioinspired Series of Synthetic Antitumor Acetylenic Lipids
Margaux Bossuat, Pauline Rullière, Nadège Preuilh, Antonio Peixoto, Etienne Joly, Jean-Guillaume Gomez, Maroua Bourkhis, Frédéric Rodriguez, Fernanda Gonçalves, Isabelle Fabing, Hafida Gaspard, Vania Bernardes-Génisson, Valérie Maraval, Stéphanie Ballereau, Remi Chauvin*, Sébastien Britton* & Yves Génisson* J Med Chem 2023 Access the article
Sébastien Britton (Sebastien.Britton@ipbs.fr)
Françoise Viala (Communication@ipbs.fr)